Auteurs: Charlotte en François
L’Arrivée et la Question de l’Occupation.
Le samedi 8 Octobre, date de l’arrivée des indignés à Bruxelles, tout fut une question de choix : Installer un campement de tentes et dormir dans le parc Elisabeth, comme le Bourgmestre de la commune de Koekelberg nous l’avez proposé jusqu’au vendredi précédent (7 octobre 2011), date du retrait de l’autorisation. Ou occuper, à quelques mètres de là, les locaux de l’Université HUB, vides depuis plus d’un an. Cette question, c’est la Police locale qui l’a formulée, avec une syntaxe bien particulière. La seconde option étant « acceptable sans négociations », sous peine d’intervention des forces de l’ordre.
Cette proposition fut l’objet d’un débat long de plusieurs heures, où la logistique laissa place à la politique, puisque la question de l’occupation d’un espace public revenait à désobéir ou non aux consignes des autorités locales.
Au final ce samedi soir de débats se soldera par une absence de décision par consensus. Environ 2/3 des personnes présentes choisiront d’utiliser les locaux de l’Université quand l’autre tiers choisira de rester camper sur place.
Au final, le bâtiment de la HUB sera utilisé comme dortoir quand 47 Indignés se feront arrêtées pour refus d’obéir aux ordres des hommes en bleu. Ils subiront douze heures de rétention administrative avant d’être relâchés le dimanche au matin.
Bref, arrestations mises à part, la mobilisation semblait se présenter plutôt pas mal. Programme fourni et semaine de débats pour nous permettre d’aller plus en profondeur sur des thématiques précises, en vue de, pourquoi pas, proposer des solutions concrètes (que ls médias nous réclament sans cesse), et tout du moins, de préparer un samedi 15 octobre du tonnerre.
Dans ce sens, l’argumentaire en faveur de l’occupation des locaux universitaire s’appuyait sur le fait que nous pourrions toujours disposer de l’espace publique (l’essence du mouvement) durant la journée (voire débattre de nouveau de « l’occupation » le lendemain) et, ainsi, mettre en place nos groupes de travaux, assemblées et conférences de presse, aux yeux de tous.
En somme, reproduire ce qui fait la force du mouvement des Indignés depuis plusieurs mois : Réappropriation de l’Agora. Contacts et échanges avec la population sans aucunes démarches prosélytes. Intérêt et mobilisation croissante, pour aboutir au minimum à une visibilité accrue du mouvement laissant la trace d’un « quelque-chose se passe… », chaque jours plus présent dans les consciences collectives.
Le Campement des Indignés : Une Rencontre.
Un mélange culturel. Confinés entre quatre murs, les Indignés réunis à Bruxelles forment une entité à trois facettes.
Les marcheurs, espagnols et français. Les campeurs de Belgique, et les ralliés de la cause.
Les premiers ont l’expérience du mouvement. Ils sont fatigués et déterminés, mais surtout, ils connaissent déjà l’histoire des rencontres, les installations itinérantes, les expulsions, les conflits internes, les conflits avec les forces de l’ordre et les moments de partage intenses. Ce sont les initiateurs du mouvement.
Les seconds, les « campeurs » belges, sont chez eux. Ils ont lutté depuis juin pour faire vivre le mouvement des Indignés. Ils se sont organisés et connaissent bien la culture et le degré d’emprise “indignée” ici.
En ce qui concerne les troisièmes, l’ensemble est plus hétérogène. Il y a ceux qui croient au mouvement. Il y a ceux qui sont venus de loin, Allemagne, Hollande etc., pour soutenir et partager l’initiative. Et il y a ceux qui profitent du campement pour passer un moment avec des personnes reconnues « hors système » et capables de les accueillir.
Cette entité, même rassemblée autour de valeurs communes, même forte de sa solidarité internationale et interculturelle, doit bénéficier de temps et d’organisation pour mettre en place un mode d’expression et d’échange adéquat.
Action des Indignés à Dexia du Marche venant de Mardrid
Le Campement : Un Défi.
Alors que le fond du rassemblement des Indignés est celui du partage, de la rencontre, de la construction et de la réappropriation de l’espace public etc., la vie au sein de l’Université prend la tournure d’un piège.
De jours en jours, on s’enferme, on perd l’esprit d’initiatives. Des conditions difficiles qui nous fatiguent, qui nous freinent toujours plus pour aller, affrontant le froid, à la rencontre de la population. On se retrouve trop vite sans communication interne, sans organisation. On ne sait plus qui fait quoi. On ne fait plus. Les médias, très présents à cette période, ne pourront que constater notre niveau d’efficacité approchant le niveau zéro. C’est pourtant notre force d’organisation qui désarçonne si bien les structures institutionnalisées, les syndicats et les partis politiques.
Quant à la communication externe, elle est tout simplement inexistante. Seules quelques initiatives courageuses et indépendantes permettent à quelques Indignés de partir à la rencontre des bruxellois. Chacun perd sa motivation et la dynamique de groupe dégringole vertigineusement. Même plus d’assemblées populaires en extérieur… ! « Que nous arrive-t-il ? ». C’est l’interrogation que l’on peut lire sur de nombreux visages. D’ailleurs, si l’on effectue un simple calcul, entre le nombre d’Indignés présents le premier soir et le nombre présent dernier matin, et en tenant compte du nombre de personnes arrivées en cours de mobilisation, on ne peut que constater un nombre de pertes important… Et ce schéma ne tient pas compte des gens de passages ayants fait marche arrière à leur arrivée à l’HUB.
En effet, le bâtiment était mis à disposition, d’après la Police et le Bourgmestre de Koekelberg, pour offrir « de l’eau et des conditions sanitaires suffisantes ». Le bâtiment étant « inoccupé mais salubre, avec Internet, douches chaudes, électricité et toilettes ».
Salubre en l’espèce ! Avec les problèmes de tuyauteries, les toilettes débordent dès le deuxième jour. Le troisième étage est inondé d’eaux d’égouts et d’excréments. L’équipe plomberie, qui passera deux jours à travailler les pieds dedans, comprend que les évacuations sont à la charge de la Commune qui doit effectuer la tâche quasi quotidiennement.
Mais rien n’est fait. Les Indignés sont noyés dans leur merde. Ils fabriquent alors trois toilettes sèches.
Pas de lumières pour plus de la moitié du bâtiment non plus. L’immeuble aux cinq étages n’a plus qu’un ascenseur en fonction. Les marches se franchissent dans le noir à l’aide de bougies et de GSM.
Dans ces conditions, comment garder un tant soit peu d’énergie ? Comment se concentrer sur les idées et l’apprentissage alors que les efforts sont centrés sur la logistique ? Comment se maintenir en forme quand on est sale, fatigué, et que l’on rationne l’eau potable ?
Plus besoin de parler des douches, elles n’existent évidemment pas. L’ambiance se dégrade.
Les premières tensions, nées le premier jour suite au choix d’un lieu d’hébergement fourni par la Police mais aussi des divergences culturelles et des expériences différentes de lutte, se creusent et prennent toute la place au lieu d’être.
L’ambiance est exagérément festive, c’est cependant la seule manière de respirer dans ce « squat » désormais mal tenu. Les débordements se multiplient. Résultat, les valeurs propres aux Indignés sont détournées et les bruits de couloirs, les tensions jamais déconstruites se multiplient. « Exactions », vols, désordre, agressions etc. Les matins se font toujours plus difficiles.
A chaque jour, sa nouvelle surprise. Une porte défoncée, un camarade agressé, absence du service de ramassage des poubelles comme traitement de faveur. C’est à ce moment-là, et seulement là qu’on a vu le bâtiment se détériorer. Des tags sur les murs, une bibliothèque mise à sacs. De toute façon, on ne se parle plus vraiment. Évidemment, on a plus à parler du fou qui a fait irruption dans nos locaux et se douche tout nu dans la cafétéria avec notre eau potable. On ne parle plus des rumeurs de casse, de violence. On jette l’éponge car l’accès internet promis par les autorités pour nous permettre de travailler ne fonctionne guère. On ne se réunit plus, même en assemblée. Le temps pour s’organiser nous manque. Beaucoup d’entre nous passent leur temps à la cafeteria au lieu de partager leur indignation et leurs idées avec la population locale. Au final, personne n’ose plus rien dire parce que personne ne sait ce qu’il est en mesure de défendre ou pas.
Tous ces sujets sont rendus tabous. Rien de pire. Ce qui pouvait se gérer, depuis le début du mouvement des Indignés, dans l’espace public via un mode d’expression aisé et démocratique gérant de facto les conflits, grâce à une transparence et à une vigilance permanente de groupe n’est plus.
Ensemble, réunis sur une même place, il est plus facile de s’impliquer, de s’exprimer, de contrôler les « débordements » auxquels le mouvement s’oppose, comme celui de saccager une bibliothèque.
Samedi 15 Octobre. Manifestation réussie et dégradations. Quelles responsabilités ?
Le samedi 15 octobre, nous voici avec une journée à peine préparée et avec un itinéraire – négocié avec la Police – pas vraiment mis en débat. Pourtant, on a fait mieux pour le mouvement en un jour que durant toute la semaine ! Inespéré.
Reste le poids du symbole HUB… Un piège, ou les conséquences d’un mouvement trop attirant, mal organisé, qui s’est laissé dépasser ? Ce même samedi soir, apparait déjà un reportage étalant les images d’un bâtiment dévasté. Comprenez : « Voilà le résultat d’un bâtiment cédé de bonne foi à une bande de hippies prétendant être responsables tout en voulant faire la révolution ». Une bibliothèque dépouillée, des excréments… Ah oui ?
Nous comprenons désormais que la stratégie politique locale revenait à nous priver de tout service sanitaire raisonnable. On apprenait à la mi-journée, et ceci en pleine manifestation, qu’il fallait évacuer les locaux universitaires. Surprise, quand bien même certains s’étaient proposés pour nettoyer. Même pas le temps d’évacuer nos bagages. Deux camionnettes se chargeront de tout récupérer.
Quand, après la manif, on veut y faire un tour, une vingtaine de bras armés montent la garde et leurs collègues continuent à faire « leur » ménage à l’intérieur. « Pas de caméras », pour entrer, trois policiers escortent chaque indigné. Louche ? Une belle mascarade, d’accord, c’est prouvé. Mais les Indignés ne se lèvent-ils pas contre les règles protégeant le désordre établi, en y opposant l’autogestion ? Rappelons à toutes fins utiles que ceux-ci sont nés de l’insurrection contre les mensonges de l’establishment.
Vu l’exploit réalisé lors de cette rencontre internationale, il pourrait être normal de flancher, de concéder des facilités. Mais notre mouvement est fort ! Il se dresse contre le système et pour les valeurs humaines, celles-là même qui s’évanouissent sous le poids des médias et des injonctions institutionnelles. Il est plein d’audace !
Le quotidien au camp doit être une leçon pour les Indignés présents cette fois-là et un signe pour tous les autres. Le mouvement doit relever les difficultés à s’organiser et à briser les tabous.
Les institutions déconstruisent les mouvements subversifs qui montrent trop de résultats et mettent en péril le système capitaliste.
Chacun de nous sait contre quoi il s’érige et il nous appartient de le partager.
Chacun de nous doit garder la force d’apprendre, de partager suivant des modalités nouvelles et horizontales.
Il ne s’agit pas de penser que cela est acquis et que c’est l’occasion de partager un moment de fête. La déconstruction institutionnelle est un travail de longue haleine !
Exprimons les difficultés rencontrées. Le mouvement fera toujours face à des hypocrisies, des difficultés internes, des agressions externes, des pièges et manipulations. Sa force réside justement à avoir un outil permettant de déjouer aux mieux tout cela : La démocratie directe, la transparence et l’envie, ou plutôt le besoin, devenu indomptable, d’avancer. Ce bâtiment n’avait rien de neutre. Et il a maintenant les caractéristiques d’un piège dans lequel nous avons plongé et dont nous n’avons pas voulu parler. Cette réflexion est en mettre en lien avec un avis souvent entendu : « Le mouvement des Indignés devrait envisager d’investir les quartiers populaires ». Là où les conséquences de ce qu’il dénonce se font le plus ressentir.
Il nous reste en tout cas un sentiment de rendez-vous manqué en ce qui concerne cette première rencontre internationale des Indignés. Mais le 15-O a été une réussite exemplaire. On ne cesse de le répéter à tous les micros, le mouvement apprend de ses erreurs. Tant mieux…
N’oublions pas que le système est fort mais que nos faiblesses l’alimentent. En route vers l’émancipation. Bruxelles n’était qu’une première étape ! Nous avons besoin d’une coordination internationale et d’échanges dans la lutte. Le 15-O est sur ce point historique, constituant la première manifestation internationale pour un changement de système…
quelques videos en plus
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Michel,
D’accord sur le fait qu’il y a aussi une réusitte, une très grande rèusite même, Mais aussi nous devons avoir la maturité de voire les choses qui ne fontionnaietn pas, oser en faire l’analyse pour faire mieux la prochaine fois.
J’ai ajouté trois vidéos et le troisiéme video montre un mouvement jeune qui prend ses resposabilités, qui fait preuve du civisme des indignés à Bruxelles le 15 octobre. Pour moi aussi c’est un souvenir impérissable.
Pour un mouvement jeune de 5 mois, ce rassemblement a tout même éte une réussite, malgré des condition de vie parfois difficile.
Si au début, chaque communauté regarder de travers l’autre, au fur et à mesure des groupes de travail, des repas en commun et de partager de grands dortoir, il en est sorti un véritable mouvement européen, issu de la Place del Sol.
Cette semaine restera pour moi un souvenir impérissable d’une jeunesse solidaire, issus des quatre coins de l’Europe, et unis par la même envie de s’agrandir et de réussir cette utopie.
Bravo à nous tous